Thème : L’apprentissage de la langue maternelle comme paradigme pédagogique
Sous-thème pour 2020 : institutionnalisation de l’apprentissage de la langue maternelle et développement de l’esprit critique
Responsable : Jean-François Goubet, professeur à l’INSPE de l’Académie de Lille/laboratoire RECIFES, Artois.
Argumentaire : Ce séminaire se propose de questionner la valeur paradigmatique attribuée par certains penseurs de l’éducation, passés ou contemporains - philosophes, psychologues, sociologues, linguistes, didacticiens ou pédagogues de terrain -, à l’apprentissage de la langue maternelle.
Nous comptons repartir d’un fait : il existe une aptitude du tout jeune enfant à apprendre et à parler sa langue maternelle. Et, de même, de repartir d’une interrogation qui ne laisse pas d’être présente : cette capacité suffit-elle à établir qu’il dispose naturellement des facultés nécessaires à l’assimilation des savoirs qui lui seront enseignés à l’école ; ou bien, au contraire, le rapport réflexif au symbolique que suppose la culture scolaire requiert-il, de la part du sujet apprenant, d’autres dispositions que celles dont témoignent l’apprentissage et la maîtrise de la langue orale ?
La première année, en 2017-2018, nous avions infléchi cette question générale pour la mettre en résonance avec une interrogation portée avant tout par des philosophes français des Lumières. Helvétius, Diderot, Condillac notamment avaient discuté du problème de l’égalité des esprits ; au début du 19e siècle, Jacotot s’en était lui aussi emparé en mettant en avant que la capacité à parler et à communiquer par le biais de notre langue maternelle, quels que soient par ailleurs nos aptitudes naturelles ou notre degré d’instruction, nous institue d’emblée en sujets intellectuellement autonomes et vaut comme preuve de l’égalité des intelligences. L’égalité des esprits n’avait pas tardé, en ce même 19e siècle, à s’énoncer comme égalité, ou non, des intelligences, ce qui renvoyait à une conception naturaliste (Cuvier, Flourens, Schopenhauer) que l’on allait retrouver dans la psychologie scientifique naissante. En plus de séances sur la question des enfants dits déficients mentaux ou à haut potentiel, le séminaire avait également touché la question, plus latérale, de l’apprentissage d’une langue étrangère et de l’imitation : tous les enfants ont-ils conservé quelque chose de leur capacité première à avoir appris la langue maternelle dans leur apprentissage second d’une langue étrangère ? D’autres choses que l’intelligence, le sens que nous avons tous de notre propre langue sont-elles ou non en jeu à l’occasion ?
En 2018-2019, nous avons exploré plus avant la relation entre apprentissages langagiers informels et formels, en montrant le rôle et les fonctions de l’écrit au sein de ces derniers. Notre question générale a ainsi fait porter l’accent sur d’autres points, tout en énonçant fondamentalement les mêmes questions et en se référant aux mêmes éléments. Lev Vygotski n’a pas uniquement cherché à caractériser le développement des concepts scientifiques (scolaires) par rapport au développement des concepts spontanés (extra-scolaires) par analogie avec la différence entre l’apprentissage de la langue maternelle et l’apprentissage d’une langue étrangère ; il a également fait porter son attention sur le passage de la langue interne, inchoative, à la langue orale puis à la langue écrite. Jerome S. Bruner a, de son côté, largement commenté la pensée vygotskienne selon laquelle le passage de l’oral à l’écrit serait comparable à celui de l’arithmétique à l’algèbre. La psychologie n’a pas été le seul domaine mis à profit dans le séminaire. Des interventions de type anthropologique, sociologique ou psychanalytique, sur le rapport à la culture, le geste, la voix et la trace y ont également trouvé leur place. Enfin, une perspective d’histoire des idées pédagogiques, venue de la philosophie ou des sciences de l’éducation, fut représentée.
Cette année, 2019-2020, nous devons prendre acte de la force acquise par le séminaire au cours des exposés et des échanges qui les ont suivis, et poursuivre en quelque sorte la discussion là où elle mène. Un premier fil est apparu, celui de l’apprentissage oral qui s’institutionnalise à l’école primaire au cours du dix-neuvième siècle, et qui réapparaît régulièrement dans les programmes scolaires, à la manière d’un serpent de mer, jusqu’à aujourd’hui. Une comparaison entre les situations belge et française dans la promotion de l’oral à l’école, en vue de donner corps à la liberté, d’émanciper, semble dès lors requise. Un deuxième fil s’est de même montré, celui de l’injonction à la fois classique (Montaigne, Condorcet, Kant) et contemporaine de former à l’esprit critique. Dans quelles activités d’oral et d’écrit, au cours de la scolarité, pareil développement du jugement peut-il être pris en charge ? Quid en particulier des activités spécialement consacrées à cela, qu’elles se nomment ou non pratiques à visée philosophique ? La question plus particulière de l’enseignement de la philosophie pourra également être posée à cet endroit. Un troisième fil, enfin, a juste pris naissance en fin de seconde année : celui de l’apprentissage de la langue maternelle dans un environnement complexe, multiculturel. Dans un monde pluriel, quant aux idiomes et aux visions du monde, et dans lequel il faut évoluer pour répondre quelquefois à des enjeux planétaires, que signifie apprendre sa langue maternelle, et comment cela peut-il effectivement se produire ? Une attention plus spécifique aux contextes de diglossie, de multilinguisme, comme une réflexion sur la possible détermination d’une conception du monde par le prisme de la langue maternelle (hypothèse Sapir-Whorf par exemple) seront les bienvenues cette année.
Le séminaire porté par le RECIFES se veut résolument interdisciplinaire, sans exclusive, et désire également jouer à plein en tant qu’institution de formation doctorale. Les doctorantes et doctorants pourront ainsi contribuer par un exposé ou en occupant, à leur demande, la fonction de répondante ou de répondant à une intervention faite par un tiers.
Titre : Institutionnalisation de l’apprentissage de la langue maternelle et développement de l’esprit critique (1/4, les nouvelles pratiques scolaires et les théories de la formation de l’esprit critique)
Intervenante n°1 : Suzy Jacqmart (doctorante Recifes) : « La discussion : une démarche essentielle pour développer l'esprit critique des élèves »
Intervenant n°2 : Jean-François Goubet (PU Recifes) : « De la critique philosophique au développement de l’esprit critique en philosophie pour enfants »
Titre : Institutionnalisation de l’apprentissage de la langue maternelle et développement de l’esprit critique (1/4, suite, et 2/4, l’institutionnalisation de l’apprentissage de la langue maternelle)
Intervenant n°1 : Camille Roelens (ATER Recifes) : « La philosophie de l’éducation de Normand Baillargeon. Entre héritages, thérapie et agone »
Intervenante n°2 : Cécile Kaisin (doctorante Alithila) : « L’apprentissage du français comme langue maternelle au niveau de l'instruction primaire dans le contexte sociétal belge du XIXe siècle »
Intervenante n°3 : Louise Ferté (MdC Recifes) : « Sur l’enseignement de langue maternelle chez le père Grégoire Girard »
Titre : Institutionnalisation de l’apprentissage de la langue maternelle et développement de l’esprit critique (3/4, le développement de la pensée par l’oral et l’écrit)
Intervenant n°1 : Thibaud Trochu (MdC Recifes) : « L’écrit et l’oral dans l’enseignement de la philosophie en France à partir des archives »
Intervenante n°2 : Emmanuelle Canut (PU STL) : « L’articulation en maternelle entre oral et écrit du point de vue de l'apprentissage cognitivo-langagier »
Intervenant n°3 : Alain Firode (PU Recifes) : « K. Popper, J. Goody et la place de l’écriture dans la genèse de la rationalité scientifique »
Titre : Institutionnalisation de l’apprentissage de la langue maternelle et développement de l’esprit critique (reprise des points précédents et 4/4, l’apprentissage de la langue maternelle dans un cadre multiculturel : quelles difficultés, quels points d’orientation ?)
Laurence Breton (docteure de l’Université de Nanterre) : sur le développement de l’esprit critique par la pratique de textes philosophiques à l’école élémentaire
Nicolas Gergaud (doctorant Grammatica) : sur l’analyse discursive d’un TP de biologie à l'université et un travail sur les représentations de l'activité d'écriture du compte-rendu correspondant (comprendre pourquoi on structure le texte ainsi et non seulement comment)
Mégane Lesuisse (doctorante STL) : « L’influence de notre/nos langue(s) sur notre/nos pensée(s), mythe ou réalité ? »
D’autres participations sont possibles, notamment pour les doctorantes et doctorants qui le souhaiteraient.